C'est le premier avril - date clin d'oeil ? - qu'
Abraham Poincheval s'est enfermé dans un ours noir taxidermisé pour une durée de 13 jours. L'ours trône au milieu du salon de Compagnie de l'hôtel de Guénégaud, actuel
musée de la Chasse et de la Nature. A l'intérieur de l'habitacle rudimentaire aménagé dans le corps de l'animal, l'artiste vit en état d'hivernation, activité ralentie au coeur de l'hiver. Il se nourrit d'un menu composé des aliments favoris de l’espèce (insectes, miel, graines, végétaux…) et cherche à expérimenter les conditions de vie de l'animal et sa perception du monde durant cette période. A travers cette expérience inspirée du chamanisme - faire corps avec un animal - Abraham fait écho à l'une de ses précédentes performance :
Gyrovague, le voyage invisible (2011), un périple sur la route de l'art contemporain de Dignes-les-bain, à travers la montagne, poussant un cylindre métallique qui lui sert à la fois de véhicule, de camera obscura et de lieu de vie. Durant ce voyage, Abraham va croiser de nombreuses carcasses d'animaux morts, la performance actuelle symbolise pour lui une renaissance par rapport au devenir de la dépouille animale et bien évidemment une façon de repousser encore ses limites face à la situation d'enfermement. Parmi ses précédents, passer sept jours dans un trou creusé dans le sol de la librairie "Histoire de l'oeil" à Marseille ou sept jours également, enfermé sous le parvis de l'hôtel de ville de Tours.
Dans la peau de l'ours, Abraham Poincheval, avril 2013
Et maintenant la réalité. Abraham est enfermé, le public est invité à lui parler. Un fauteuil et une petite table couverte de livres sélectionnés par l'artiste propose également au spectateur de le distraire en lui lisant une histoire. Et on fait la queue pour lui parler ! L'ours impassible est assailli de toutes part par des commentaires allant de l'inquiétude toute naturelle aux derniers résultats de foot en passant par toute une série de questions telles que "Fait-il chaud à l'intérieur ?" "Vous ennuyez-vous ?""N'avez-vous pas mal aux jambes ?" En bref, nous sommes très loin de l'hivernation, l'artiste sensé méditer n'a pour ainsi dire pas une minute à lui les jours de grands affluence ! Lors des sept jours qu'il passa sous le parvis de l'hôtel de ville de Tours, il avait fait figure de prêtre au confessionnal, les gens, se sentant plus anonymes que sous les yeux d'un gardien de musée, se seraient laissés aller à mille confidences devenant presque gênantes pour l'artiste. La situation qu'Abraham met en place se retourne encore une fois. Ce n'est pas seulement l'artiste qui se produit, toute personne entrant dans la pièce se met automatiquement en scène en réaction à sa présence, même celle marchant sur la pointe des pieds pour ne pas le réveiller !
Webcam diffusant la performance
Dans la peau de l'ours 24h/24 à regarder
ici
N'a t-on jamais rêvé faire la lecture à un ours noir ? Je le recommande. J'avais pour ma part lors de ma visite choisi un livre de
Jack London "le vagabon des étoiles" Le héros de cet ouvrage, Darrel Standing, est condamné à perpétuité pour crime passionnel et incarcéré dans le quartier d'isolement de la prison de San Quentin aux Etats-Unis. L'une des épreuves les plus terribles est d'y être soumis au châtiment appelé "la camisole" (the jacket), sorte de corset fait d'un pan de toile lacé le long du corps qui non seulement interdit tout mouvement mais coupe la circulation sanguine dans les membres occasionnant de terribles souffrances. Standing, face à cette épreuve va vivre ce qu'il appelle "la mort en raccourci", seul moyen d'échapper à son calvaire. Je laisse les curieux la découvrir dans la vidéo qui suit. Pour information, les deux co-détenus dont London parle dans cet ouvrage ont réellement existé et c'est pour sauver Oppenheimer de l'échafaud qu'il a écrit ce livre. Il n'y parviendra pas mais fera abolir la camisole et l'autorisation de condamner à mort un détenu pour indiscipline.
Loin de cette violence, souhaitons à Abraham une belle fin de séjour dans les entrailles de la bête !
(Dans la peau de) l'ours, Abraham Poincheval, jusqu'au 13 avril 2014.
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